La détermination de la vitesse prodigieuse avec laquelle se meut la lumière
dans I'espace est, sans contredit , un des plus beaux résultats de l'astronomie
moderne.
Les anciens croyaient cette vitesse infinie; et leur manière de voir n'était
pas, à cet égara; comme sur tant d'autres quèstions de physique, une simple
opinion dénuée de preuves; car Aristote, en la rapportant, cite à son appui
la transmission instantanée de la lumière du jour.
Cette opinion fut ensuite combattue par Alhazen, dans son Traité d'optique,
mais seulement par des raisonnements métaphysiques auxquels Porta, son
commentateur, qui admettait ce qu'il appelle l'immatérialité de la lumière,
opposa aussi de très-mauvais arguments.
Galilée paraît être le premier, parmi ies modernes, qui ait cherché à déterminer cette vitesse par expérience.
Dans le premier des dialogues delle Scienze Nuove, il fait énoncer par
Salviati, un des trois interlocuteurs, les épreuves très-ingénieuses qu'il
avait employées, et qu'il croyait propres à résoudre la question.
Deux observateurs, avec deux lumières, avaient été placés à près d'un mille
de distance: l'un d'eux, à un instant quelconque, éteignait sa lumière;
le second couvrait la sienne aussitôt qu'il ne voyait plus l'autre; mais,
comme le premier observateur voyait disparaître la seconde lumière au méme
moment où il cachait la sienne, Galilée en conclut que la lumière se transmet
dans un instant indivisible à une distance double de celle qui séparait
les deux observateurs.
Des expériences analogues que firent les Membres de l'Académie del Cimento,
mais pour des distances trois fois plus considérables, conduisirent à un
résultat identique.
Ces épreuves semblent, au premier aspect, bien mesquines, lorsqu'on songe à la grandeur de leur objet; mais on les juge avec moins de sévérité, quand on se rappelle qu'à peu près à la même époque, des hommes, tels que lord Bacon, dont le mérite est si généralement apprécié, croyaient que la vitesse de la lumière pouvait, comme celle du son, être sensiblement altérée par la force et la direction du vent.
Descartes, dont le système sur la lumière a tant d'analogie avec celui
qu'on désigne par le nom de système des ondulations, croyait que la lumière
se transmet instantanément à toute distance; il appuie d'ailleurs cette
opinion d'une preuve tirée de l'observation des éclipses de Lune.
Il faut convenir que son raisonnement, très-ingénieux, prouve, sinon que
la vitesse de la lumière est infinie, du moins qu'elle est plus considérable
que toutes celles qu'on pouvait se flatter de déterminer par des expériences
directes faites sur la Terre à la manière de Galilée.
Les fréquentes éclipses du premier satellite de Jupiter, don la découverte
suivit de près celle des lunettes, fournirent à Roëmer la première démonstration
qu'on ait eue du mouvement successif de la lumière.
La connaissance encore très-imparfaite des mouvements des autres satellites,
la difficulté d'observer exactement leurs éclipses, et quelques inégalités
inconnues qui, en se combinant avec celle qui dépendait du mouvement de
la lumière, en masquaient les effets, les rendaient moins saillants, et
empêchaient, par conséquent, de la reconnaître, firent quelque temps rejeter
la découverte de Roëmer; elle ne fut même généralement admise que lorsque
Bradley eut montré que ce mouvement annuel, auquel toutes les étoiles sont
assujetties, et qu'on nomme l'aberration, dépend de l'effet combiné du
mouvement de la lumière avec celui de l'observateur.
La vitesse qu'on avait déduite de ce dernier phénomène différait un peu
de celle qu'on obtenait par les éclipses du premier satellite; mais la
perfection à laquelle on a porté les Tables, par les travaux de M. Laplace,
a permis de revenir sur ces premiers calculs; la constante de l'aberration
que M. Delambre a trouvée par la discussion d'un très-grand nombre d'éclipses
de satellites, est absolument la même que celle que Bradley avait déduite
de ses observations.
La première conséquence qu'on puisse tirer de cet accord remarquable, est
que la lumière se meut uniformément, ou du moins sans aucune variation
sensible, dans tout l'espace compris par l'orbe de la Terre; l'excentricité
de l'orbe de Jupiter permet d'étendre ce résultat à l'immense intervalle
qu'il embrasse.
Il est d'ailleurs assez naturel de supposer que les étoiles de diverses
grandeurs sont inégalement éloignées; et, comme leurs aberrations absolues,
déduites des observations directes, sont sensiblement les mêmes, Bradley
en avait conclu que le mouvement de la lumière est uniforme à toutes les
distances, et que l'aberration de tous les corps célestes peut se calculèr
avec la même constante.
Quelques astronomes n'avaient cependant pas adopté ce résultat; ils soupçonnaient
que les étoiles de diverses grandeurs peuvent émettre les rayons avec différentes
vitesses, et il faut convenir que cette idée, surtout dans le système de
l'émission, était à la fois naturelle et probable.
L'observation directe de l'aberration était peu propre à résoudre cette
question d'une manière décisive; puisqu'une différence dans la vitesse
de la lumière égale à 1/20 de la vitesse totale, ne doit produire dans
l'aberration qu'une différence de 1", précision qu'on ne peut se flatter
de surpasser, même à l'aide des meilleurs instruments; mais, si l'on se
rappelle que la déviation qu'éprouvent les rayons lumineux, en pénétrant
obliquement dans les corps diaphanes, est une fonction déterminée de leur
vitesse primitive, on verra que l'observation de la déviation totale, à
laquelle ils sont assujettis en traversant un prisme, fournit une mesure
naturelle de leurs vitesses.
Cette méthode est d'ailleurs très propre à rendre sensibles de légères
inégalités; car, comme il est facile de le démontrer, une différence de
vitesses égale à 1/20 produit dans les déviations une différence de 2',
en supposant même qu'on n'emploie. qu'un prisme dont l'angle ne surpasse
pas 45'.
Telle est aussi la marche que j'avais suivie dans les expériences dont
j'eus l'honneur de communiquer les résultats à la Classe, il y a maintenant
plus de quatre ans; les rayons lumineux provenant de diverses étoiles,
du Soleil, de la Lune, des planètes et des lumières terrestres, avaient
subi la même déviation ; les plus grandes discordances s'étaient élevées
à 5", et ce nombre, qui est la somme des erreurs d'observation et
de déclinaison, ne correspond d'ailleurs qu'à 1/480 de changement dans
la vitesse et à 1/24 de seconde sur l'aberration; j'avais conclu de ces
résultats que la lumière se meut avecla même vitesse, quels que soient
les corps dont elle émane, ou que du moins, s'il existe quelques différences,
elles ne peuvent, en aucune manière, altérer l'exactitude des observations
astronomiques.
Depuis la lecture de mon Mémoire, M. Calendreli a publié, dans ses Opuscules astronomiques, imprimés à Rome, quelques expériences faites par cette méthode, et qui l'ont conduit aux mêmes conclusions, excepté dans ce qui a rapport à la lumière solaire, à laquelle il assigne une réfraction particulière; mais je me suis assuré que ce dernier résultat, dont on ne saurait admettre l'exactitude, tient à ce que, dans l'observation des étoiles, l'astronome romain visait au centre de la lumière jaune, tandis que pour le Soleil, dont il était forcé d'observer le bord, il pointait, au contraire, à one des couleurs extrêmes du spectre: il me suffirait d'ailleurs, pour justifier, indépendamment de ces considérations, le résultat auquel j'étais parvenu, de remarquer que M. Calandreli trouve, ainsi que moi, que les taches de la Lune, que nous n'apercevons que par la lumière du Soleil réfléchie, sont précisément déviées de la même quantité que les étoiles.
On voit, au reste, que la certitude des conclusions qu'on tire à l'égard de la vitesse de la lumière, des observations faites à l'aide des prismes, repose sur celle de la supposition qu'une inégalité de vitesse produit une inégalité de déviation, ce qui résulte immédiatement de l'explication que Newton donne de la réfraction; les expériences que j'ai citées, m'avaient fait entrevoir la possibilité de démontrer ce principe, mais les travaux relatifs à la méridienne me firent abandonner cette recherche, que j'ai reprise depuis mon retour, et dont je vais aujourd'hui communiquer les résultats à la Classe.
Mes expériences étaient à peu près achevées, lorsque la lecture d'un des beaux Mémoires que le Dr Young a inséré dans les Transactions philosophiques, m'apprit que M. Robisson, professeur de physique à Edimburgh, avait considéré théoriquement cette question de la vitesse de la lumière; j'ai, depuis, trouvé, dans divers ouvrages, qu'elle avait été examinée sous différents points de vue par Boscowich, Michell, Wilson et Blair.
Avant de parler de mes observations, je crois devoir indiquer les projets qu'avaient publiés à cet égard les physiciens que je viens de citer.
L'idée de chercher à s'assurer, par des expériences directes, de l'accroissement
de vitesse qui acquièrent les rayons lumineux en passant d'un milieu rare
dans un milieu dense, a dû naturellement se présenter à un très-grand nombre
de personnes; mais Boscowich est, à ma connaissance, le premier qui ait
publié à cet égard un projet d'expériences raisonné.
Ce physicien avait cru qu'en observant les étoiles à travers une lunette
remplie d'eau, on devait trouver, à cause de l'augmentation de vitesse
qui acquièrent les rayons en pénétrant dans ce liquide, une aberration
différente de celle qu'on observe lorsque J'espace qui sépare l'objectif
de l'oculaire est rempli d'air.
Cette même cirçonstance devait apporter des changements très-sensibles
dans la position des objets terrestres, qui auraient été ainsi assujettis
à une aberration diurne.
Il trouvait, par exemple, qu'une mire située au sud, au solstice d'hiver,
aurait décrit, en vingt-quatre heures, un cercle d'un rayon = 5",
et dont le centre correspondrait à la position moyenne de l'objet; mais
le raisonnement de Boscowich est défectueux en ce qu'il a oublié de tenir
compte de la réfraction et, par conséquent, du changement de direction
que doivent éprouver les rayons en pénétrant obliquement du verre dans
le liquide.
Aussi, M.Wilson, professeur d'astronomie à Glasgow, qui a publié dans les
Transactions philosophiques pour l'année 1782, un Mémoire où il propose
également la lunette remplie d'eau, comme un moyen de s'assurer de la théorie
newtonienne, arrive-t-il à des conclusions totalement opposées à celles
de Boscowich; car il a prouvé que l'aberration dans une semblable lunette
ne sera égale à celle qu'on trouve avec un instrument ordinaire, que dans
le cas où les vitesses des rayons dans les milieux rares et diaphanes sont
entre elles dans le rapport assigné par Newton.
On peut d'ailleurs remarquer que la nécessité d'appliquer de forts grossissements
aux instruments qui sont destinés à découvrir de petites quantités, rendait
la lunette de Boscowich inutile, puisque la lumière d'une étoile serait,
sinon totalement éteinte, du moins considérablement affaiblie, lorsqu'elle
aurait traversé nne épaisseur de liquide de 3 ou 4 pieds.
La difficulté que présente, sous le rapport qui nous occupe, la vérification
de la théorie newtonnienne, résulte de ce principe qui en est une conséquence,
savoir: que la vitesse dela lumière, dans un milieu diaphane quelconque,
doit ètre la mème, quelle que soit la nature et le nombre de milieux qu'elle
a précédemment traversés.
On peut cependant remarquer que, lorsque les corps réfringents sont en
mouvement, la réfraction qu'éprouve un rayon ne doit plus se calculer avec
sa vitesse absolue, mais bien avec cette même vitesse, augmentée ou diminuée
de celle du corps, c'est-à-dire avec la vitesse relative du rayon; les
mouvements que nous pouvons imprimer aux corps sur la Terre, étant beaucoup
trop petits pour influer sensiblement sur la réfraction de la lumière,
il faut chercher dans les mouvements beaucoup plus rapides des planètes,
des circonstances plus propres à rendre sensibles ces inégalités de réfraction.
Wilson, que nous avons déjà cité, avait proposé d'employer ce mode d'expériences
à la recherche du mouvement de translation du système solaire.
Le Dr Blair, à qui l'on doit un travail très-intéressant sur la force dispersive
des liquides, croyait 'que l'observation devait rendre sensible l'inégalité
de 'vitesse avec laquelle sont réfléchis les rayons lumineux qui arrivent
à nous des deux bords de Jupiter, à cause du mouvement de rotation de la
planète sur elle-même; et M.Robisson, dans un Mémoire particulier, où il
examine en détail cette question de la vitesse de la lumière, indique également
les obsevations des deux bords de l'anneau de Saturne.
Tels étaient les moyens que ces savants distingués avaient proposés pour
résoudre un problème qui intéresse à la fois les progrès de la physique
et de l'astronomie; il résulte en outre du précis historique que nous venons
de donner, qu'ils s'étaient plutôt attachés à tracer la route qu'il fallait
suivre pour arriver à un résultat décisif, qu'à entreprendre des observations
dont ils prévoyaient sans doute la grande difficulté.
J'ai cru qu'il serait important d'employer les moyens qu'offre l'état actuel
de nos connaissances et la grande précision de nos instruments, à l'examen
d'une question dont le résultat semblait devoir offrir quelques données
sur la véritable nature de la lumière.
Je me suis attaché, dans mes expériences, il rendre sensibles les différences
qui doivent résulter du mouvement de translation de la Terre, parce que
celui de notre système pouvait, en se combinant avec ce premier, donner
naissance à d'assez grandes inégalités.
Il est d'ailleurs naturel de supposer que, de même qu'il y a dans le ciel
des étoiles de divers éclats, il y en a aussi de diverses grandeurs, et
cette circonstance, comme l'a, je crois, montré le premier M. Michell,
doit occasionner des différences de vitesse très-sensibles dans les rayons
qui émanent de ces divers corps; ce genre d'expériences me permettait,
en outre, d'observer avec une lunette il court foyer, tandis qu'il serait
indispensable d'employer un fort grossissement pour reconnaître les inégalités
des diamètres planétaires.
Cette méthode exigerait de plus que les prismes fussent très-parfaits, puisque les défauts d'achromatisme sont en raison directe du grossissement.
Quelques essais que j'en ai déjà faits, à l'aide de l'excellent micromètre
prismatique de M.Rochon, m'ont donné cependant l'espérance de réussir;
je vais, en attendant, communiquer à la Classe les résultats de la première
méthode, qui, d'ailleurs, sous tous les rapports, me paraît préférable.
Lorsqu'on regarde un objet à travers un prisme, les inégalités de déviation auxquelles peuvent donner naissance des changements dans la vitesse des rayons lumineux, doivent être d'autant plus considérables que l'angle du prisme sera lui-même plus grand; mais, lorsqu'on se sert de prismes simples ou formés d'une seule substance, il est à cet égard une limite qu'on ne peut dépasser, car, pour peu que l'angle du prisme surpasse 4 ou 5 degrés, les bords du spectre 'sont diffus; et comme le passage d'une couleur prismatique à la voisine se fait par une dégradation insensible, on ne peut avoir la certitude de pointer, à chaque observation, à des parties des spectres correspondantes; les prismes achromatiques dont on peut augmenter l'angle à volonté, remplissaient beaucoup mieux l'objet que j'avais en vue.
Celui qui a servi à mes premières expériences, était formé d'un prisme de crown-glass et d'un prisme de flint adossés; la différence de leurs angles, ou l'angle du prisme total, était à peu près égale à 24 degrés.
Afin de diminuer, autant que possible, les réflexions partielles qu'éprouve
toujours la lumière à la surface de séparation des milieux dont les densités
sont très-différentes, j'avais fait coller mes deux prismes avec le mastic
dont les opticiens font usage pour atténuer les défauts de poli des surfaces
intérieures des objectifs.
Le prisme total était arrêté, d'une manière inébranlable, dans une boîte
dont les tourillons latéraux pouvaient tourner dans des collets, ce qui
permettait de donner à la face extérieure l'inclinaison qui rendait l'image
la plus nette.
Afin d'être sûr d'observer dans le plan de l'angle réfringent, on s'était
également ménagé un mouvement latéral, par un mécanisme qui serait trop
long à décrire; il me suffira de dire que l'appareil total pouvait se fixer,
à l'aide de fortes vis, au couvercle extérieur de la lunette du mural.
Les choses étant ainsi disposées, j'ai mesuré dans la même nuit, et à différentes époques, les distances au zénith d'un grand nombre d'étoiles; ces distances, comparées à celles qu'on aurait observées à travers l'air,donnent la quantité de la déviation que le prisme fait éprouver aux rayons lumineux; c'est ainsi qu'ont été formés les tableaux suivants :
------------------ Les données numériques ---------------------
J'ai ensuite collé ensemble deux prismes achromatiques, semblables à celui qui avait servi à mes premières expériences; mais, afin de me rendre indépendant, dans ces nouveaux essais, de la connaissance de la déclinaison des étoiles, de celle de l'erreur de collimation qui peut varier dans nos instruments, avec la hauteur de la lunette et de la réfraction, j'ai suivi dans l'observation une méthode différente de la première.
Le nouveau prisme dont je viens de parler était fixé à la lunette d'un cercle répétiteur, de manière cependant que la moitié de l'objectif fût découverte; je pouvais, par cette disposition, observer tantôt à travers l'air, et tantôt à travers le prisme: la différence des deux hauteurs corrigée du mouvement de l'étoile dans l'intervalle des deux observations, me donnait ainsi la déviation sans qu'il fût nécessaire de connaître exactement la position absolue de l'astre observé. Je pouvais d'ailleurs, en commençant ces observations, quelques minutes avant le passage des astres au méridien, les répéter un assez grand nombre de fois pour atténuer en même temps et les erreurs de pointé et celles de division; telle est la méthode qui a servi à former le dernier tableau:
------------------ Les données numériques ---------------------
Je vais maintenant passer aux conséquences qui découlent de tous ces nombres.
On voit d'abord que les inégalités de déviations sont en général fort petites et du même ordre que celles que présentent les observations faites sans prisme: on peut, par cette raison, les attribuer aux erreurs d'observations; mais supposons-les réelles, pour un instant, et cherchons à quelles inégalités de vitesses elles correspondent.
Je prends pour cela la formule analytique qui exprime la déviation des
rayons lumineux, en fonctions des angles des prismes et de leurs forces
réfringentes; je la différentie par rapport à la vitesse de la lumière
qui entre dans l'expression du rapport du sinus d'incidence au sinus de
réfraction, et j'obtiens ainsi la variation de la déviation en fonction
de celle de la vitesse.
On trouve par ce calcul, dont je ne puis lire les détails,que 1/10186 de
variation dans la vitesse de la lumière, devait produire, dans mon premier
prisme, un changement de déviation égal à 6"; cette variation s'élève
à près de 14" dans le prisme achromatique quadruple que j'ai appliqué
à la lunette du cercle répétiteur: telles seraient donc les inégalités
de déviations que je devrais trouver, si les rayons émis par les diverses
étoiles que j'ai observées avaient des vitesses qui différassent centre
elles de 1/10000.
Or, la vitesse de translation de la Terre est précisément égale à ce nombre;
on sait d'ailleurs que son mouvement est dirigé vers les étoiles qui passent
au méridien à 6 heures du matin et vers celles qui passent à 6 heures du
soir, de telle sorte cependant qu'elle s'approche des premières et qu'elle
s'éloigne au contraire dès autres.
La déviation, dans le premier cas, doit donc correspondre à la vitesse
d'émission augmentée de sa 1/10000 partie, et, dans le second, à cette
même vitesse diminuée de 1/10000 ; en sorte que les rayons d'une étoile
qui passè au méridien à 6 heures du matin, doivent être moins: fortement
déviés que ceux d'une étoile qui passe à 6 heures du soir, d'une quantité
égale à celle qu'occasionne 1/5000 de changement dans la vitesse totale,
c'est-à-dire de 12" dans les observations faites au mural, et de 28"
dans celles du cercle répétiteur; les déviation s des étoiles qui passent
à minuit devraient d'ailleurs être les moyennes de ces deux-là.
Or, en examinant attentivement les tableaux précédents, on trouve que les rayons de toutes les étoiles sont sujets aux mêmes déviations, sans que les légères différences qu'on y remarque suivent aucune loi.
Ce résultat semble être, au premier aspect, en contradiction manifeste
avec la théorie newtonienne de la réfraction, puisqu'une inégalité réelle
dans la vitesse des rayons n'occasionne cependant aucune inégalité dans
les déviations qu'ils éprouvent.
Il semble même qu'on ne peut eu rendre raison qu'en supposant que les corps lumineux émettent des rayons avec toùtes sortes de vitesses, pourvu qu'on admette également que ces rayons ne sont visiblés que lorsque leurs vitesses sont comprises entre des limites déterminées: dans cette hypothèse, en effet, la visibilité des rayons dépendra de leurs vitesses relatives, et, comme ces mêmes vitesses déterminent la quantité de la réfraction, les rayons visibles seront toujours également réfractés.
Quoique les expériences précédentes soient suffisantes pour motiver la supposition que je viens de faire, puisque sans elle on ne pourrait les expliquer, il ne sera peut être pas inutile de,montrer que plusieurs autres phénomènes semblent la rendre également nécessaire.
J'observerai d'abord que dans l'évaluation des différences auxquelles doivent
donner lieu les inégalités de vitesse, je n'ai tenu compte que du mouvement
de translation de la Terre, et que celui de notre système doit, en se combinant
avec ce premier, être la source de nouvelles inégalités.
Quelques étoiles doivent d'ailleurs se mouvoir dans l'espace avec des vitesses
très-considérables, puisque, malgré la petitesse de leurs parallaxes, elles
sont annuellement assujetties à des déplacements très-sensibles; la vitesse
des rayons qu'elles nous envoient doit donc être la résultante de leur
vitesse primitive d'émission combinée avec celle de l'étoile elle-même,
et varier, par conséquent, avec la grandeur et la direction du mouvement
des astres; mais l'une des plus puissantes causes de changements dans la
vitesse de la lumière, paraît devoir être cependant l'inégale grandeur
des diamètres des étoiles.
On trouve en effet, par le calcul, qu'une étoile de même densité que le
Soleil, et dont le diamètre serait un petit nombre de centaines de fois
plus considérable que celui de cet astre, anéantirait' totalement par son
attraction la vitesse de ses rayons, qui n'arriveraient par conséquent
pas jusqu'à nous; une étoile vingt fois plus grande gue le Soleil, sans
détruire complétement la vitesse des rayons qu'elle aurait émis, l'affaiblirait
assez sensiblement pour qu'on dût trouver une assez grande différence entre
leur réfraction et celle des rayons solaires; il suffirait même de supposer
que le diamètre d'un astre fût une fois el demie plus grand que celui du
Soleil, pour que la vitesse de sa lumière, à la distance qui nous en sépare,
fût diminuée de sa 1/10000 partie, et donnât, par conséquent, naissance
à des inégalités de déviation qui, dans le second de mes prismes, s'élèveraient
a 15".
Or il paraît peu naturel de supposer que Sirius, la Lyre, Arcturus et quelques
autres étoiles qui brillent d'un si vif éclat, malgré leur prodigieuse
distance, ne sont pas égales au Soleil.
Quoi qu'il en soit, on voit qu'à moins d'admettre, comme je l'ai fait,
que dans l'infinité des rayons de toutes les vitesses qui émanent d'un
corps lumineux, il n'y a que ceux d'une vitesse déterminée,qui soient visibles,
on ne pourrait expliquer mes expériences qu'en diminuant outre mesure la
densité des étoiles ou leurs diamètres; on arriverait, par exemple, à ce
résultat singulier, que dans le nombre infini d'étoiles dont la voûte céleste
est parsemée, il n'y en a pas une seule de même densité que la Terre, et
dont le volume égale en même temps celui du Soleil.
Il ne sera peut-être pas inutile de noter que les observations dont je
viens de rendre compte et la supposition qui ,les explique se lient d'une
manière très-remarquable aux expériences de Herschel, Wollaston et Ritter.
Le premier a trouvé, comme on sait, qu'il y a en dehors du spectre prismatique
et du côté du rouge, des rayons invisibles, mais qui possèdent à un plus
haut degré que les rayons lumineux la propriété d'échauffer; les deux autres
physiciens ont reconnu, à peu près dans le même temps, que du côté du violet
il y a des rayons invisibles et sans chaleur, mais dont l'action chimiqùe,sur
le muriate d'argent et sur plusieurs autres substances est très-sensible.
Ces derniers rayons ne forment-ils' pas la classe de ceux auxquels il ne manque qu'une petite augmentation de vitesse ,pour devenir visibles, et les rayons calorifiques ne seraient-ils pas ceux qu'une trop grande vitesse a déjà privés de la propriété d'éclairer ?
Cette supposition, quelque probable qu'elle puisse d'abord paraître, n'est
pas rigoureusement établie par mes expériences, dont il est seulement permis
de conclure que les rayons invisibles par excès et par défaut de vitesse,
occupent respectivement sur le spectre la même place que les rayons calorifiques
et chimiques.
Il est d'ailleurs très-remarquable qu'on eût p,u ainsi, et par des observations
purement astronomiques, arriver à la connaissancê des rayons invisibles
et extérieurs au spectre, dont les célèbres physiciens que nous avons cités
n'ont reconnu l'existence qu'à l'aide d'expériences délicates faites à
l'aide de thermomètres très-sensibles et de substances dont la couleur
est altérée par l'action de la lumière.
Je n'ai point comparé, dans ce qui précède, mes expériences au système des ondulations, parce que l'explication qu'on donne de la réfraction repose dans ce système sur une simple hypothèse qu'il est très-difficile de soumettre au calcul, et qu'il m'était, par suite, impossible de déterminer d'une manière précise si la vitesse du corps réfringent doit avoir quelque influence sur la réfraction, et, dans ce cas, quels changements elle doit y apporter.
Je me suis uniquement attaché à montrer qu'en supposant que les rayons
lumineux ne sont visibles que lorsque leurs vitesses sont comprises entre
des limites déterminées, mes expériences peuvent se concilier parfaitement
avec la théorie newtonienne.
Mais si les limites qui déterminent la visibilité des rayons sont, comme
il est probable, les mêmes pour divers individus,
l'inégale densité des humeurs vitrées doit faire apercevoir des rayons
inégàlement rapides; il résulterait de là que deux personnes regardant
une même étoile, dans le même prisme et dans des circonstances analogues,
pourraient la voir inégalement déviée.
Le, résultat de cette expérience, quel qu'il puisse être; paraît devoir
fournir quelques données sur le genre de sensation qui nous fait apercevoir
les objets.
Il m'a semblé que le seul moyen de rendre ces essais bien décisifs était
d'y employer des prismes croisés, car les observations peuvent se faire
alors avec beaucoup de précision, quelle que soit la grandeur de l'angle
réfringent.
J'attendrai donc, pour communiquer à la Classe les expériences que j'ai
faites sous ce rapport, que le temps m'ait permis d'ajouter les résultats
de cette méthode à ceux que j'ai déjà obtenus à l'aide des prismes achromatiques;
je me contenterai de remarquer, pour le moment, que je puis tirer de ce
qui précède plusieurs conséquences astronomiques assez importantes.
On voit:
1. Que les aberrations de tous les corps célestes, soit qu'ils nous envoient une lumière propre ou une lumière réfléchie, doivent se calculer avec la même constante, sans qu'il y ait, à cet égard, la plus légère différence, ainsi que je l'avais déduit de mes premières expériences;
2. Que les phénomènes qu'on a expliqués par une inégalité dans la vitesse de la lumière, tels que l'apparence des étoiles sur le disque de la Lune quelques secondes avant l'instant de l'immersion, les déplacements dans les petites étoiles qui sont très-voisines des grandes, etc., ne peuvent dépendre de cette cause;
3. Que l'hypothèse à l'aide de laquelle Piazzi a cherché à expliquer les .différences qu'on trouve entre l'obliquité de l'écliptique déduite des observations faites aux deux solstices, est totalement contraire aux expériences, puisqu'elle revient à supposer que la lumière solaire ne se réfracte pas comme celle des étoiles;
4. Enfin, que le pouvoir réfringent de l'air que nous avons déduit, M. Biot et moi, de l'observation d'un objet terrestre, doit être absolument égal à celui qu'on aurait trouvé si, dans nos expériences, il avait été possible de viser à une étoile. Il était d'autant plus important de faire disparaître le doute qu'on aurait pu élever à cet égard, que ce pouvoir réfringent est, comme on sait, l'élément principal de la Table des réfractions.